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« L’héritocratie, c’est la capacité d’action et de résistance des filières d’élite »



Paul Pasquali, Sociologue, directeur de recherche au CNRS (Photo TdNM)




Paul Pasquali est sociologue, chargé de recherche au CNRS. Après avoir publié Passer les frontières sociales. Comment les « filières d’élite » entrouvrent leurs portes (2014, Fayard, réédité en poche cette année à La Découverte avec une postface inédite), il a commis en 2021 Héritocratie. Les élites, les grandes écoles et les mésaventures du mérite (1870-2020) à La Découverte.


Il s’agit du premier ouvrage de sociologie qui analyse l’évolution de toutes les grandes écoles en France. Il permet ainsi de comprendre leurs stratégies pour résister aux réformes remettant en cause leur élitisme et fait le bilan de leurs politiques en faveur de la diversité. Cette histoire longue s’inscrit dans la continuité des travaux de Thomas Piketty sur les inégalités.


Que signifie ce terme d’« héritocratie » que vous avez forgé ?


"c’est, nous précise Paul Pasquali , la capacité d’action et de résistance des filières d’élite pour défendre leurs intérêts, leur autonomie et leur modèle au cours de l’histoire. C’est aussi leur capacité à freiner et contourner les projets de réformes contraires à leurs intérêts. Pour forger ce concept, je me suis inspiré de l’expérience de ceux qui, boursiers des grandes écoles, ont franchi les frontières sociales et se sont heurtés à la force des héritiers, toujours ultra-majoritaires dans ces établissements. Si nombre de boursiers peinent à s’y sentir comme des poissons dans l’eau, c’est que leur héritage ne vaut rien face à celui des héritiers."


LE FAUX MÉRITE LA VRAI CONSANGUINITÉ



Pour relancer un « ascenseur social » interminablement en panne, les grandes écoles affichent depuis quelques années leur ouverture à la « diversité » et leur volonté de renouer avec la méritocratie qu’elles auraient incarnée par le passé. Certains les accusent au contraire d’instaurer des critères étrangers au mérite, quand d’autres dénoncent une volonté de sceller le sort des universités, reléguées à la gestion des flux étudiants. Mais, de la IIIe République à nos jours, les grandes écoles ont-elles jamais récompensé le mérite ?

En retraçant les controverses oubliées et les choix politiques qui ont garanti les prérogatives de ces établissements et ainsi légitimé un haut niveau de reproduction sociale, cette enquête sociohistorique montre que rien n’est moins sûr. Si l’évocation rituelle de figures emblématiques de boursiers entretient le mythe d’un âge d’or méritocratique, l’histoire de ces filières d’excellence révèle la pérennité d’un système héritocratique, grâce auquel des élites résolues à défendre leurs frontières et leurs intérêts parviennent à consacrer leur héritage comme un privilège mérité.


Replacée dans des rapports de force qu’occulte la croyance en l’égalité des chances, l’introuvable démocratisation des grandes écoles ne s’explique pas par un complot de caste, mais par une succession de luttes dont les élites en place sont régulièrement sorties victorieuses. Face aux perspectives de changement et aux projets de réforme, elles ont su se mobiliser pour restaurer l’ordre qui était sur le point de s’ébranler. Des lendemains de la Commune au Front populaire et à la Résistance, de la Libération à Mai 68 et aux années Mitterrand jusqu’à Parcoursup et la refonte de l’ENA, la continuité qui s’observe derrière les secousses éphémères et les évolutions structurelles ne relève donc pas d’une mécanique implacable – ni d’une fatalité politique.


JPC

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