Le clientélisme est probablement l'un des principaux piliers de la corruption, qui gangrène tous les niveaux de décisions, nationaux comme locaux. Mais il importe de distinguer le "clientélisme" traditionnel consistant à satisfaire les droits de la population, des services rendus dans une quête d'électeurs ou exclusivement à des proches du pouvoir municipal, nuance Cesare Mattina. Sociologue au CNRS déjà auteur d'un ouvrage sur le sujet, "Clientélisme urbains", il appelle à manier ce terme "fourre-tout" avec précaution, et vient rétablir quelques faits.
En décembre 2020 plusieurs élus municipaux de Corbeil-Essonnes ont été condamnés pour des achats de voix avérés dans le cadre d’affaires judiciaires ayant impliqué l’élu républicain Serge Dassault. Cette séquence judiciaire vient nourrir d’autres affaires ressemblantes, mêlant échanges politiques et financiers, et souvent affublés du terme de « clientélisme ». De plus en plus abusé dans le débat public, ce terme est évidemment utilisé sous un angle très souvent moralisateur, principalement à des fins de dénonciation par des journalistes, des élus, des fonctionnaires, des magistrats, des « lanceurs d’alerte », etc. Le problème est que ce terme de « clientélisme » finit par devenir un fourre-tout comprenant, dans la même catégorie, des relations clientélaires interpersonnelles, des affaires de corruption, des activités ordinaires des élus, voire des phénomènes de banditisme et de mafia… Malgré les amalgames qui en sont couramment faits, il faut donc distinguer le « clientélisme » de trois autres catégories d’analyse.
Des relations entre citoyens et élus depuis l’Antiquité
Ce qu’on appelle en sciences sociales le « clientélisme politique » est l’ensemble des relations interpersonnelles entre des individus (entre élus de différents niveaux, entre élus et fonctionnaires, entre élus et citoyens à différents titres) impliquant des échanges de biens et de services privés et personnels contre des soutiens électoraux et des promesses de voix. Ces relations existent sous différentes formes depuis l’époque grecque et romaine et elles sont sociologiquement fondées sur des rapports certes asymétriques de pouvoir entre un « patron » et un « client », mais aussi sur des liens d’amitié et de fidélité qui inscrivent ces relations dans un environnement de confiance et de non-obligation de restitution immédiate des services rendus. Ces caractéristiques sociologiques des relations clientélaires nous permettent de dire que la logique utilitariste de l’achat de voix, de la rémunération y compris pécuniaire de services, voire de menaces et de rétorsion qui existent dans l’affaire de Corbeil-Essonnes s’adapte mal à des relations basées sur de la confiance réciproque. De la même manière, la relation de corruption essentiellement fondée sur la rémunération pécuniaire et un échange immédiat et reconnaissable diffère d’un clientélisme fondé des échanges établis sur le long terme. De ce clientélisme des relations interpersonnelles il faut donc distinguer ce que nous pensons être trois phénomènes à part entière : une demande sociale de biens et de services à l’adresse des élus, le métier politique et la pratique de la redistribution des ressources.
Une véritable demande sociale de biens et de services
Les témoignages d’élus un peu partout en France, nos enquêtes par entretiens et par archives menées sur Marseille confirment que les élus reçoivent beaucoup de sollicitations et des requêtes d’interventions très majoritairement pour des demandes et des services à rendre de type privé et personnel : obtention d’un logement social, d’un emploi public, d’une subvention à une association, d’une place en crèche, d’une aide sur un dossier administratif, etc. Contrairement à une vision idéaliste de la démocratie et de la représentation politique, les citoyens ne vont solliciter leurs élus que très marginalement pour des questions d’intérêt général. La demande sociale de biens et de services personnels est complètement légitime car elle vise souvent à satisfaire tout simplement des droits (celui d’accéder à un logement social, ou de bénéficier d’un emploi). Mais il s’agit de droits pour lesquels les ressources publiques sont limitées ce qui implique un tri, des choix sur fond d’impossibilité de satisfaire tout le monde. D’où le fait que, dans des mondes qui ne sont que rarement régulés par une pratique administrative totalement neutre et objectivable, la marge de manœuvre des élus reste assez ample pour que par exemple un logement social soit attribué à telle famille plutôt qu’à telle autre.
Dans le domaine du logement social par exemple, comme observé durant mes travaux à Marseille depuis les années 1970, les règles d’attribution ne sont pas systématiquement claires et fondées sur des critères précis de classement des requérants (ancienneté de la demande, situation sociale des familles, fourchette de revenus très ample, non-respect fréquent des plafonds de revenus, décisions des commissions d’attribution passables par les présidents d’organisme HLM liés aux gouvernements locaux, etc.).
À leur permanence, personnelle ou institutionnelle, par mail, par courrier, par l’entremise d’un ami ou d’un conseiller municipal ou d’arrondissement, les élus font face à une demande sociale soutenue qui vient à la fois de leurs entourages rapprochés et de cercles plus éloignés de citoyens.
Face à cette demande sociale – et différemment selon leurs parcours et leurs valeurs – ces élus ne peuvent pas complètement se dérober et doivent de quelque façon répondre en dédiant du temps, de l’énergie et du personnel à cette activité.
Cette demande sociale de biens et de services personnels est un vrai phénomène à part entière qu’on ne peut pas réduire à du « clientélisme ».
Le métier politique
ILLUSTRATION TDNM
très bien .effectivement le clientélisme est différent de l'achat de voix . Il faut expliquer cela au Tribunal administratif de Lille qui en connait pas la différence !!!!