Que risquent les anciens militaires signataires de la tribune dans "Valeurs actuelles" ?
Dernière mise à jour : 2 mai 2021
À l’initiative de Jean-Pierre Fabre-Bernadac, officier de carrière et responsable du site Place Armes, une vingtaine de généraux, une centaine de hauts-gradés et plus d’un millier d’autres militaires ont signé l’appel ci-dessous pour un retour de l’honneur et du devoir au sein de la classe politique.
Monsieur le Président,Mesdames, Messieurs du gouvernement,Mesdames, Messieurs les parlementaires,
L’heure est grave, la France est en péril, plusieurs dangers mortels la menacent. Nous qui, même à la retraite, restons des soldats de France, ne pouvons, dans les circonstances actuelles, demeurer indifférents au sort de notre beau pays.Nos drapeaux tricolores ne sont pas simplement un morceau d’étoffe, ils symbolisent la tradition, à travers les âges, de ceux qui, quelles que soient leurs couleurs de peau ou leurs confessions, ont servi la France et ont donné leur vie pour elle. Sur ces drapeaux, nous trouvons en lettres d’or les mots « Honneur et Patrie ». Or, notre honneur aujourd’hui tient dans la dénonciation du délitement qui frappe notre patrie.– Délitement qui, à travers un certain antiracisme, s’affiche dans un seul but : créer sur notre sol un mal-être, voire une haine entre les communautés. Aujourd’hui, certains parlent de racialisme, d’indigénisme et de théories décoloniales, mais à travers ces termes c’est la guerre raciale que veulent ces partisans haineux et fanatiques. Ils méprisent notre pays, ses traditions, sa culture, et veulent le voir se dissoudre en lui arrachant son passé et son histoire. Ainsi s’en prennent-ils, par le biais de statues, à d’anciennes gloires militaires et civiles en analysant des propos vieux de plusieurs siècles.– Délitement qui, avec l’islamisme et les hordes de banlieue, entraîne le détachement de multiples parcelles de la nation pour les transformer en territoires soumis à des dogmes contraires à notre constitution. Or, chaque Français, quelle que soit sa croyance ou sa non-croyance, est partout chez lui dans l’Hexagone ; il ne peut et ne doit exister aucune ville, aucun quartier où les lois de la République ne s’appliquent pas.– Délitement, car la haine prend le pas sur la fraternité lors de manifestations où le pouvoir utilise les forces de l’ordre comme agents supplétifs et boucs émissaires face à des Français en gilets jaunes exprimant leurs désespoirs. Ceci alors que des individus infiltrés et encagoulés saccagent des commerces et menacent ces mêmes forces de l’ordre. Pourtant, ces dernières ne font qu’appliquer les directives, parfois contradictoires, données par vous, gouvernants.Les périls montent, la violence s’accroît de jour en jour. Qui aurait prédit il y a dix ans qu’un professeur serait un jour décapité à la sortie de son collège ? Or, nous, serviteurs de la Nation, qui avons toujours été prêts à mettre notre peau au bout de notre engagement – comme l’exigeait notre état militaire, ne pouvons être devant de tels agissements des spectateurs passifs.Aussi, ceux qui dirigent notre pays doivent impérativement trouver le courage nécessaire à l’éradication de ces dangers. Pour cela, il suffit souvent d’appliquer sans faiblesse des lois qui existent déjà. N’oubliez pas que, comme nous, une grande majorité de nos concitoyens est excédée par vos louvoiements et vos silences coupables.Comme le disait le cardinal Mercier, primat de Belgique : « Quand la prudence est partout, le courage n’est nulle part. » Alors, Mesdames, Messieurs, assez d’atermoiements, l’heure est grave, le travail est colossal ; ne perdez pas de temps et sachez que nous sommes disposés à soutenir les politiques qui prendront en considération la sauvegarde de la nation.Par contre, si rien n’est entrepris, le laxisme continuera à se répandre inexorablement dans la société, provoquant au final une explosion et l’intervention de nos camarades d’active dans une mission périlleuse de protection de nos valeurs civilisationnelles et de sauvegarde de nos compatriotes sur le territoire national.On le voit, il n’est plus temps de tergiverser, sinon, demain la guerre civile mettra un terme à ce chaos croissant, et les morts, dont vous porterez la responsabilité, se compteront par milliers.
Les généraux signataires :Général de Corps d’Armée (ER) Christian PIQUEMAL (Légion Étrangère), général de Corps d’Armée (2S) Gilles BARRIE (Infanterie), général de Division (2S) François GAUBERT ancien Gouverneur militaire de Lille, général de Division (2S) Emmanuel de RICHOUFFTZ (Infanterie), général de Division (2S) Michel JOSLIN DE NORAY (Troupes de Marine), général de Brigade (2S) André COUSTOU (Infanterie), général de Brigade (2S) Philippe DESROUSSEAUX de MEDRANO (Train), général de Brigade Aérienne (2S) Antoine MARTINEZ (Armée de l’air), général de Brigade Aérienne (2S) Daniel GROSMAIRE (Armée de l’air), général de Brigade (2S) Robert JEANNEROD (Cavalerie), général de Brigade (2S) Pierre Dominique AIGUEPERSE (Infanterie), général de Brigade (2S) Roland DUBOIS (Transmissions), général de Brigade (2S) Dominique DELAWARDE (Infanterie), général de Brigade (2S) Jean Claude GROLIER (Artillerie), général de Brigade (2S) Norbert de CACQUERAY (Direction Générale de l’Armement), général de Brigade (2S) Roger PRIGENT (ALAT), général de Brigade (2S) Alfred LEBRETON (CAT), médecin Général (2S) Guy DURAND (Service de Santé des Armées), contre-amiral (2S) Gérard BALASTRE (Marine Nationale).
Que risquent les anciens militaires signataires de la tribune dans "Valeurs actuelles" ?
Pourquoi cette tribune pose-t-elle problème ? Ces anciens militaires signataires risquent-ils des sanctions ? Franceinfo revient sur le cas particulier des militaires qui ne sont plus en exercice et de leurs obligations.
Des militaires interdits d'exprimer leur opinion
Dans cette lettre, à l'attention du président de la République, les signataires estiment qu'"il n'est plus temps de tergiverser, sinon, demain la guerre civile mettra un terme à ce chaos croissant, et les morts, dont vous porterez la responsabilité, se compteront par milliers". Mais cette prise de position sur la gestion politique du pays et cette mise en accusation des décideurs entrent en contradiction avec le devoir de réserve auquel sont soumis les militaires.Le devoir de réserve des militaires est l'interdiction pour eux dans l'exercice de leurs fonctions de faire mention de leurs opinions religieuses ou politiques par exemple. Elles ne peuvent "être exprimées qu'en dehors du service et avec la réserve exigée par l'état militaire. Cette règle s'applique à tous les moyens d'expression", précise l'article L4121-2 du Code de la défense. C'est pourquoi la Grande Muette porte bien son nom.
Un devoir de réserve à respecter
En l'occurrence, les militaires signataires de la tribune parue dans Valeurs actuelles se présentent comme d'anciens généraux. Sont-ils vraiment tenus de respecter ces règles ? Pour comprendre le statut particulier des militaires qui ne sont plus en exercice, il faut séparer les deux sections d'officiers généraux qui existent au sein de l'armée française.La première section regroupe l'ensemble des officiers généraux en activité ou en détachement. La deuxième section caractérise les officiers généraux qui ne sont plus en activité, mais "qui demeurent à la disponibilité du ministère des Armées", explique Elodie Maumont, avocate spécialisée en droit des militaires. A ce titre, ils perçoivent une solde de réserve et les avantages alloués aux militaires sur le territoire, notamment dans le cadre des transports en train. En contrepartie, ils restent "soumis aux obligations qui incombent à tout militaire". Et donc, au devoir de réserve.
Une jurisprudence avec le général Piquemal
Un précédent existe notamment. En tête des signataires de la tribune, le général Christian Piquemal, qui n'en est pas à sa première invective contre les dirigeants politiques. Retraité de la légion étrangère depuis 2000, il avait appelé à manifester contre la présence de migrants à Calais en février 2016, alors que le rassemblement avait été interdit par la préfecture du Pas-de-Calais.Si ce proche de l'extrême droite a été relaxé en comparution immédiate en correctionnelle, Christian Piquemal a toutefois été radié de l'armée pour "manquements à l'obligation de réserve et de loyauté". Il n'est depuis plus autorisé à porter l'uniforme et a perdu sa carte d'identité d'officier militaire. En revanche, son grade ne lui a pas été retiré.
Vers une radiation des signataires ?
Les 20 principaux signataires de la tribune "sont pour la plupart des officiers généraux membres de la deuxième section", note Elodie Maumont. Selon l'avocate, la jurisprudence dans le cas du général Piquemal laisse supposer que des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu'à la radiation pourraient effectivement s'appliquer à chacun des généraux signataires de cette tribune.Les noms des autres militaires signataires sont disponibles sur le site Place d'Armes, sur lequel a été publiée la tribune à l'origine. Parmi eux, de nombreux soldats qui semblent actuellement en exercice. Dans leur cas, Elodie Maumont est catégorique : "C'est clairement contraire au statut du militaire de s'exprimer sur un problème politique, affirme-t-elle. La sanction disciplinaire peut toujours être discutée, mais il m'apparaît difficile de défendre qu'il n'y a pas eu manquement aux obligations militaires."Le "recensement" des militaires ayant signé ce texte publié dans l'hebdomadaire conservateur est en tout cas "en cours", a assuré Florence Parly sur franceinfo. Et la ministre des Armées de promettre que des "sanctions tomberont" si certains des officiers signataires sont encore en exercice.
De potentielles sanctions pénales
Si, au titre de la liberté d'expression, les propos tenus dans la tribune ne tombent pas sous le coup de la loi, Elodie Maumont pointe le statut particulier des signataires. Ces derniers sont soumis au Code de justice militaire qui prévoit des sanctions pénales en cas de manquement à certains devoirs."Ce qui me semble le plus probable dans ce cas, ce sont d'éventuelles poursuites pour incitation à commettre des actes contraires aux devoirs et à la discipline, prévues par l'article L322-18 du Code de justice militaire", détaille l'avocate. Le délit peut être puni de deux ans d'emprisonnement, voire cinq si c'est un gradé qui a incité des militaires sous son autorité à commettre ces actes.
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